Un avant-gout de Noël... Une jolie histoire revisitée façon cocasse et coquine
***
Elles l’avaient pourtant cherché partout.
Nounou, qui était rose et plantureuse à souhait, s’en allait, à la nuit tombée, dans sa chemisette de soie brodée. Elle se baissait pour cueillir des pâquerettes et tous les lapins, cachés dans les buissons, voyaient qu’elle avait oublié de mettre sa culotte. Elle s’allongeait dans la prairie et rêvait, la chemise retroussée, que le loup s’approchait sans bruit, lui sautait dessus et la croquait, là, sous les yeux des chouettes et des hiboux. Hélas, le loup ne venait jamais et Nounou devait se contenter des friandises que sa main lui procurait.
Cela faisait rire les renards qui lançaient :
— Alors, Nounou, tu n’as pas encore vu le loup ?
Nini avait le teint pâle et délicat, de grands cils dont elle jouait en battant des paupières et un corps long et gracile. Elle n’aimait pas être une cochonne et elle faisait tout pour échapper à sa condition. Elle se maquillait les ongles des mains et des pieds, apprenait des vers de Paul Geraldy qu’elle récitait à voix basse, le soir, dans son lit, et ne se nourrissait que de baies sauvages. Nini était un peu fière et, il faut bien le reconnaître, méprisait un peu ses sœurs, qui avaient trop de santé. Elle prenait des poses alanguies, s’exprimait d’une voix de flûte et imaginait que, loin, là-bas, à l’autre bout des bois, un loup charmant se mourait d’amour pour elle. Ils ne s’étaient jamais rencontrés mais cela ne saurait tarder. Parfois, au creux de la nuit, alors que ses sœurs dormaient avec ce léger ronronnement qui est signe d’une conscience en paix chez les cochonnes, Nini se levait et, les pieds nus, frissonnante dans un déshabillé de satin noir, elle s’en allait rêver sous la lune. Les yeux perdus dans la profondeur des étoiles, elle murmurait : « Baisse un peu l’abat-jour...»
Nana était d’une tout autre trempe. Cochonne émancipée, elle ne perdait pas son temps en songes creux. Elle menait avec habileté et fermeté les affaires de la famille. Réaliste, elle considérait que les plaisirs de la chair ne valent pas le temps qu’on leur accorde. Le loup, s’il ne voulait pas se montrer, tant pis pour lui ! Quand Nana estimait qu’il était temps de se livrer à des ébats plus physiologiques qu’érotiques, elle choisissait dans son entourage quelque mâle solide qui la comblait sans lui tourner la tête. Elle eut des relations avec un bouc, un sanglier, quelques lapins de garenne. Mais ceux-ci eurent beau se succéder, ils allaient trop vite. Nana dut se consoler seule avec une carotte que les lapins lui fournirent, un peu penauds de ne pas mieux se maîtriser. Ses sœurs essayaient de lui faire la morale :
— Comment peux-tu t’abaisser ainsi, avec n’importe qui? disait Nini qui était assez raciste. N’oublie pas que nous sommes promises au loup.
— C’est ta faute, s’il ne se montre pas, renchérissait Nounou. Il nous prend pour des saute-au-paf. Il va avoir peur des maladies. Pas étonnant... Avec tout ce qu’on lit dans les journaux.
Nana haussait les épaules mais elle songeait qu’en effet, le loup ferait sûrement mieux l’affaire. Elle l’imaginait, attaché en laisse, au pied de son bureau, et condamné à la satisfaire à la demande. « Évidemment, calculait-elle, il faudrait que j’en laisse un peu pour les deux autres. Bah, une fois par semaine chacune, cela ira. De quoi fournir à Nounou matière à ses séances solitaires et à Nini de quoi lui adresser des lettres de douze pages, en alexandrins. »
Ainsi passait le temps, et les trois petites cochonnes voyaient flétrir les belles chairs tendres et roses de leur jeunesse. Il fallait faire quelque chose avant qu’elles ne deviennent toutes ridées et grises. Car il n’y aurait alors ni loup ni verrat ni homme qui voudraient d’elles.
Et le grand méchant loup ?
Il coulait des jours tranquilles dans sa maison, au bord de la rivière. Les nuits de pleine lune, il lui revenait, dans un cauchemar, ses aventures avec certains petits cochons qui l’avaient berné, ridiculisé, ébouillanté. Le loup s’éveillait alors avec une trique énorme au souvenir des culs dodus et ronds de Nif-Nif, Naf-Naf et Nouf-Nouf. Il lui arrivait d’éjaculer tout seul en songeant à leurs voix criardes qui se moquaient de lui et hurlaient : « Qui a peur du Grand méchant Loup ?... C’est pas nous, c’est pas nous ! »
Le grand méchant loup n’était pas seulement homosexuel mais, en outre, maso. Ah, comme il aurait aimé se faire fouetter, injurier, piétiner, par quelque jeune mâle aux fesses arrogantes et à la queue solidement plantée ! C’était, il le savait, un désir irréalisable. Il n’avait qu’à paraître, retrousser ses babines et passer une langue voluptueuse sur ses crocs tout le monde prenait peur. Ceux qui n’avaient pas la force de s’enfuir attendaient, résignés, qu’il leur saute dessus et n’en fasse qu’une bouchée. Le loup avait bien essayé avec l’agneau. Celui-ci tremblait de tous ses membres, paralysé sur place. Le loup lui avait adressé son plus gentil sourire que le frêle animal avait pris pour une épouvantable grimace :
— Tu veux bien jouer avec moi ? avait demandé le loup. L’autre s’était empressé de faire oui, de la tête.
— Eh bien, parle, avait
susurré le loup. — Oui, seigneur loup.
Le loup avait soupiré : cela commençait mal.
Il n’avait pas renoncé pourtant et avait demandé :
— Insulte-moi !
L’agneau s’était mépris sur le sens de la phrase et, d’une voix mourante, s’était excusé :
— Mais non, seigneur loup... Je n’ai pas voulu... Je... Je vous en prie...
— Insulte-moi ! C’est un ordre !
L’agneau s’était mis à pleurer. De grosses larmes bouillonnantes qui tombaient dans la rivière et salaient l’eau des poissons. Le loup avait commencé à s’énerver. Il avait expliqué :
— Ben quoi, ce n’est pas difficile. Tu me traites de salaud, de pervers, de vicieux.
— Je n’oserais jamais, avait bredouillé l’agneau.
— Puisque c’est moi qui te le demande! Juste pour jouer nous deux, histoire de rigoler en copains.
— Bon, s’il le faut... avait accepté l’agneau à bout de force. D’une voix à peine audible, il avait chuchoté :
- Salaud !
- Plus fort !
— Vicieux ! avait lancé l’agneau qui le pensait vraiment.
— Tu vois, tu y arrives quand tu veux!
Continue en me tapant dessus. N’aie pas peur, un bon coup sur le dos, avec le sabot !
Comme l’agneau ne bougeait pas, le loup avait montré l’exemple :
— Comme ça !
La tape avait envoyé le malheureux ovidé en plein dans la rivière. Il avait fallu le remonter, le sécher, le calmer car il hurlait :
— Finissons-en, seigneur loup ! Je suis à vous ! Je vous appartiens... Faites de moi ce que vous voulez ! Mais finissons !
— Frappe-moi, avait répondu le loup. Je suis une ordure, un pourri, un vendu...
L’agneau lui avait frôlé le museau du bout de sa patte laineuse. Le loup n’avait presque rien senti mais cela l’avait encouragé :
— Une lope, une pédale, un enculé...
— Oh, non ! avait protesté l’agneau qui craignait que tout cela ne se retourne contre lui.
— Mais si ! Répète : une chochotte, un empaffé, une tantouse, un schbeb...
L’agneau ne savait plus où se mettre. Le loup s’était alors tendu vers lui, cul offert, la tête sous les pattes :
— Fous-moi !
C’était le monde à l’envers. Sa maman, la brebis, lui avait appris que les loups croquent les agneaux et non que ces derniers baisent les fauves. Ce que voulait le grand méchant loup était contraire à tous les principes. D’ailleurs, l’aurait-il voulu, le jeune mouton aurait été bien en peine de sauter le loup. Toutes ces émotions avaient réduit à néant le peu de virilité dont il disposait.
— Baise-moi, rugit le loup. Crache-moi dessus, humilie-moi, bats-moi ! Je suis la honte de la nature, une fieffée coquine, un chevalier de la rosette...
L’agneau n’en avait pu supporter davantage.
En poussant un gémissement déchirant, il s’était jeté dans la rivière. Le courant l’avait emporté, bêlant au secours car il s’était rendu compte, mais un peu tard, qu’il ne savait pas nager et qu’il eût mieux valu plonger dans le cul d’un loup plutôt que de
risquer la noyade. »
***
A suivre dans les Contes à faire rougir les petits Chaperons de Jean-Pierre Enard
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