Il suffit d’une alchimie : une audacieuse éditrice (Brigitte Bouchard aux Allusifs), un auteur serbe à l’humour féroce et la plume débridée (Vladan Matijevic), un traducteur talentueux (Gojko Lukic), un illustrateur friand d’érotisme pictural ayant un faible pour les grands maîtres de l’estampe (Gérard Dubois), un jeu sur les couleurs et la typographie (par l’Agence Paprika)… et voilà une magnifique héroïne jaillie d’un athanor, Minette Accentievitch, petite putain incandescente qui fait rougeoyer les pages avec ses Aventures dignes d’un Don Quichotte au féminin, dans un bel écrin de carton noir et de feuilles de papier à grain rosé ornées d’illustrations ocres et sépia, à la manière des estampes et gravures d’antan.
Ah !Minette ! Que d’hommes (et de femmes) pourraient se pâmer devant elle ! Voilà Minette, 18 ans, débauchée, scandaleuse, dévergondée. Minette a un rire contagieux. Elle est toujours de bonne humeur et pleine de bonté. « Elle amuse la galerie ». « Les arbres reverdissent » quand elle passe devant eux, « son apparition est un aphrodisiaque dangereux, un comprimé de nitroglycérine ».
Minette ne compte pas ses amants, même si elle en a un tas. Elle aimerait bien être ivre d’amour pour Popaul Tchoukavatz et continuer à faire l’amour avec lui sous une brise agréable, devant un quatuor à cordes qui joue de Brahms , mais elle est aussi la « Petite Pute » du Dr Kostitch (elle aime bien jouer « à la catapulte avec sa queue »), elle aime écouter son poète local Radé Proust qui lui susurre des mots doux, elle aime baiser en voiture (c’est là qu’elle fait l’amour le plus souvent) Mirko Djordjevitch auquel elle décernerait bien « la palme d’or de l’orgasme », elle aime bien aussi titiller le Professeur Vidal, Lazare la Baignoire et le jeune diacre Nemenia… C’est comme ça, elle ne peut pas s’en empêcher. Elle aime jouir à répétition, être « une machine à orgasmes ». Consumée par le désir de foutre, elle aime tous les hommes du monde. « Ca la stimule quand elle s’offre sans réserve ».
Non, non, non, Minette n’est pas une femme fatale et dangereuse. Et c’est pour cela qu’on l’aime (en tant que lecteur) et qu’on aimerait bien, rien qu’une fois la croiser sur notre chemin. Minette est pure. « Elle emplit l’âme de printemps ». Elle a juste compris que les mecs, « ils ont le cerveau dans les couilles » et que « pour le teint, il n’a rien de meilleur que le sperme ». « Chaque fois qu’elle baise, la femme doit tout donner d’elle comme l’illustre chevalier sans peur et sans reproches ». Minette est innocente. Elle n’a pas conscience de l’ensorcellement qu’elle provoque, que ses amants souvent finissent par l’aimer et qu’ils ne peuvent plus s’en passer. Minette est généreuse. Tout en excitant et dévorant ses hommes, elle les sauve de leur désespoir, elle leur offre un salut inespéré.
On aime le regard que Vladan Matijevic porte sur sa Minette*, qu’il a cherché longtemps « à moitié mort de par le monde », et dont il garde jalousement tout le mystère. On ne peut s’empêcher de se demander si cette Minette existe vraiment. Selon Gojko Lukic, le traducteur du livre, « Minette est assez emblématique de la liberté sexuelle ambiante dans ce pays, où se combinent deux influences : les retombées de la révolution sexuelle occidentale et l’héritage d’une certaine licence qui avait cours dans la Yougoslavie communiste (il ne faut pas oublier, par exemple, que l’avortement y était libre, la morale bourgeoise et l’emprise de l’église neutralisées). Autrement dit, les Minettes sont légion en Serbie. A ce propos, lors d’une manifestations littéraire à laquelle j’ai assisté, une dame dans le public a demandé à Vladan Matijevic si Minette existait vraiment, et si oui, qui elle était, celui-ci a répondu que oui, bien sûr, elle existait, et qu’elle était en partie lui-même, et en partie une dizaine de jeunes femmes de sa connaissance. »
On pourrait même penser que Vladan Matijevic, auteur reconnu en Serbie honoré de prix littéraires, a eu une vie trépidante avec sa Minette. Mais Vladan Matevitch est « Ecrivain, de loin » (pour reprendre le titre d’un de ses romans). L’auteur, « taciturne, timide, asocial », a « une vie d'écrivain moyenâgeux. » Gojko Lukic le confirme : « Vladan Matijevic ne me semble pas tenir à ce que l’on sache grand chose sur sa personne. C’est quelqu’un qui vit un peu en retrait, dans une petite ville. On retrouve quelque chose de cette distance dans son œuvre. Pour observer les agitations d’une société d’esbroufe il se tient délibérément en marge (un de ses romans s’intitule Écrivain, de loin). On peut même dire qu’il a un certain goût pour la marginalité. Son regard sur le monde est ironique, passablement désespéré, ce qui ne saute pas toujours aux yeux grâce à un humour féroce et à un érotisme débridé qui insufflent à sa prose une grande vitalité. »
Qu’importe ! On aime le ton sarcastique de Vladan Matijevic qui grâce à Minette envoie valser les garde-fous de la société serbe. « Ce livre incarne, à sa manière, ce qui me semble être une des qualités essentielles de la culture et de la mentalité serbes, à savoir le goût de l’irrévérence, de la rébellion, le mépris de toute autorité. C’est une tendance difficile à vivre dans la vie sociale, mais très salutaire dans l’art qui a un besoin vital d’être malmené et auquel un excès d’ordre et d’obéissance est fatal. » remarque Gojko Lukic
A chaque page, on s’amuse, on rit, on aime, on s’extasie. On aime cette fille « si diablement à personne ». On aime ces instants simples, banales, magnifiques. On aime ce texte jubilatoire qui rentre en nous comme une ritournelle, une chanson légère scandée de soixante-quinze petites « leçons de joie », qui livre chacune une facette de Minette ou un portrait d’un de ses amants. On aime la Minette croquée de Gérard Dubois, intemporelle, insaisissable, ronde, pétrie, et pleine de chair. On aime la liberté de ton de l’illustrateur, son trait dru, instinctif, passionné, sa palette contrastée, son rendu pastel fauve et chaud, son style « fin de siècle », qui fait corps avec le texte, joue avec les scènes (aussi crues que poétiques), s’amuse avec les corps.
« Les aventures de Minette Accentiévitch » sont un véritable régal, un petit bijou, un bonheur littéraire et graphique! Les illustrations, la mise en page, la recherche typographique, le texte, tout est parfaitement bien agencé. Que dire ! C’est un très beau livre-objet de désir. Une curiosa précieuse, à mettre entre des mains rêveuses, amoureuses, sensuelles, joyeuses.
* (une Minette est « un minou », une « chatounette » pour écrivain qui ronronne pour lui, s'amuse avec sa « souris" et « absorbe son énergie négative », car sans Minette « tout est rien ».)
Les aventures de Minette Accentievitch de Vladan Matijevic (Auteur), Gojko Lukic (Traduction), Gerard Dubois (Illustration). Les Allusifs
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Voir aussi le Blog de Minette
A suivre, un interview de Gérard Dubois
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