J'aime la plume vivifiante et un brin cynique de Edmond de Goncourt qui nous livre ici quelques bons crus de ses multiples soupers chez les courtisanes et autres "lorettes" qu'il aimer à fréquenter.
Chez la Barucci, maîtresse de Scholl
«Le dîner est somptueux, insolent. En dépliant les serviettes, la main s'accroche aux broderies superbes du chiffre et de la couronne de la maîtresse de maison, […] Cela commence avec la soupe à la tortue, avec de vrais morceaux de tortues, puis des truffes, des faisans montés, des asperges en branches, des buissons de monstrueuses écrevisses de la Meuse. Les vins, c'est le château-yquem, le les-d'estournel, le château-margaux, les premiers crus du Rhin. Tout cela est accompagné de hors-d'œuvre qu'on passe. Il y a un grand luxe de tout ces excitants, poivrés, piments, chauffés, chargés, du caviar, des olives farcies, des piments à l'Italienne, de la mortadelle - luxe d'épices que vous retrouvez dans tout repas fait chez une fille et dont le goût va, chez ces femmes, de la Barucci au bordel. […] Scholl, ce petit Bordelais […] dont le plus grand extra était les œufs à la neige, Scholl se plaint et ne trouve point encore que ce soit assez! Il fait le mécontent dans ce rêve de mangeaille, dit qu'il n'y a rien à manger, demande du bœuf à la mode.» (Journal, 8 novembre 1863)
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«Nous soupons beaucoup toute cette année : des soupers fous avec du Léoville en vin chaud et des pêches à la Condé, qui coûtent 72 francs le plat, en compagnie de gaupes, triées au hasard sur le volet de Mabille, […]»(Journal, novembre 1852)
«Entre le soufflé au chocolat et la chartreuse, Maria desserre son corset et commence ses mémoires»
(Journal, 23 avril 1858)
«Lorrain nous disait qu'aujourd'hui, le vin ordinaire des grandes cocottes, brûlées par les soupers aux écrevisses à la bordelaise et au champagne, était à la maison une boisson faite de centaurée, de réglisse et encore de je ne sais quoi de rafraîchissant et de dépuratif.»
(Journal, 12 juin 1892)
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«Je ne sais, mais cette nourriture toute de gibier et d'écrevisses a mis le feu à mes vieux sens et j'ai dans mon lit, sous mes paupières fermées, l'obsession irritante de l'admirable image obscène d'Hokusaï, […]»(Journal, 2 septembre 1889)
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«La femme aime naturellement la mousse, le pétillement, l'agacement et le coup de fouet, la salade, les boissons gazeuses, le champagne, le gibier faisandé et les mauvais sujets.»
(Journal, du 20 au 26 août 1857)
Un diner parfait:
«Une soupe, un filet de bœuf, avec des truffes sous sa serviette, qu'on
passe et repasse et qui sont grosses comme des blocs de charbon de
terre ; des écrevisses bordelaises énormes ; un pâté de foie gras avec
une salade de gourmet, relevée de toutes sortes de petits aiguillons
d'appétit ; voilà tout, avec une glace et les plus beaux fruits. Un
véritable dîner d'artistes pratiques, un tour de force de simplicité et
d'expérience, un trait de génie de femme parisienne à la Balzac, le
résumé de toute la vie d'un ménage, qui a appris à vivre dans un milieu
de délicatesse, de blasement, de corruption, d'épicurisme des choses
exquises.»
(Journal, 30 décembre 1867)
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