Il aurait pu s′appeler Valmont, mais il s′appelle Valcour. Son écriture court sur les prairies des corps de femmes comme une rivière serpentaire se faufilant dans leurs moindres replis. Laissez vous entraîner à ses bonds et rebonds, la pente est douce..Il m′offre son "Eloge de la langue", une belle éloge de tous les plaisirs avec la langue...
"Il n’est pas d’acte amoureux satisfaisant sans ce contact intime des muqueuses, métonymie de l’impossible fusion des corps à laquelle tous les amants aspirent, et peut-être même d′une pulsion de dévoration de l’autre, résolument refoulée. La langue y joue un rôle essentiel. Tout comme la main, c′est un organe érotique " paritaire " en ce sens que les deux sexes en disposent, et que toutes les caresses linguales, sauf deux, peuvent être véritablement échangées. Sauf bien sûr par celles et ceux qui sont paralysés par la peur des microbes, peur qui n’est qu’une rationalisation de la peur de l’autre.
Lors du baiser, les langues des amants se cherchent, se taquinent, s’éprouvent, dialoguent par contact direct, avec plus de franchise et de simplicité que par la parole, toujours susceptible de véhiculer le mensonge.
" Humides et douées, nos langues glissent entre nos dents, s′effleurent, se caressent et se confondent. La sienne dessus, la mienne dessous, et réciproquement, nous nous entre-léchons les gencives, nous nous titillons le palais, nous buvons nos salives mêlées... Nous haletons de désir et nos chairs s′appellent et se cherchent sous nos mains câlines. " (1)
Le jeu de langue des amants peut rester timide et superficiel ou au contraire enthousiaste et vorace. La confiance mutuelle et l’accord sont nécessaires car les dents sont là pour mordre la langue importune, comme en fait l’expérience le client trop entreprenant d’une geisha dans un film de Mizoguchi (Les soeurs de Gion, 1936).
Donnons la parole à la Faculté "Anatomiquement et histologiquement, tout prédispose la bouche à jouir et à faire jouir. La pulpe des lèvres est faite d′un assemblage de muscles qui forme le complexe le plus fin et le plus précis du corps, tout en étant puissant ; la peau colle aux muscles et suit rigoureusement leurs mouvements. L′ensemble est bien fait pour la préhension et la succion. Quant à la langue, tapissée de peau délicate et humide, riche en vaisseaux sanguins qui se dilatent et se réchauffent, en récepteurs nerveux avides, en une multitude de petits muscles subtils, de glandes qui se gonflent, elle est la zone la plus apte à donner le plaisir avec la zone génitale. Elle est pareillement chaude, onctueuse, intumescente, engainante et d′une exquise sensibilité." (2)
La langue, exploratrice du corps de l’autre, permet de le déguster, à défaut de le dévorer. " Déguster" est bien le mot qui convient car la peau n’a pas le même goût partout. J’aime bien pour ma part promener furtivement ma langue sur tout le corps d’une femme pour comparer les goûts de ses différentes parties, entre eux et avec ceux des autres corps féminins que j’ai pu goûter auparavant. Les zones que je préfère sont le cou, les seins, les fesses et l’entre-fesses, et tous les replis de peau, à l’ aisselle, à la saignée du coude et au jarret. A condition bien sûr que le savon, en puritain soucieux d’une vaine pureté, n’ait pas détruit la symphonie des goûts acides, sucrés, musqués ou aigrelets. Les peaux des africaines sont les plus hautes en saveur.
En parcourant un dos de long en large et en grands cercles, la langue peut frôler le duvet et lever partout où elle passe de délicieux frissons. Poussant son avantage elle ira chatouiller le creux de l’oreille, les orteils ou la plante des pieds. Elle suscitera " le cri aigu de la fille qu’on chatouille " comme disait le poète (au fait, lequel ?) qui n’est une réaction de protection maladroite face à une situation de dépendance entre les mains de l’autre, mais anticipe les gémissements du plaisir.
En descendant plus bas la langue pourra déployer son habileté. Elle se fera fouineuse pour déplier les pétales soyeux si joliment nommés les " nymphes ", et faire gonfler comme un bourgeon plein de sève le délicat bouton du clitoris. " Je disjoins la cosse de son sexe sur un alléchant dégradé de muqueuses rosés et rouges, toutes lustrées de sève. Après les grandes lèvres, je décolle les petites, véritables dentelles de chair qui s′achèvent en corolle autour de sa virginité. J′ausculte d′un impalpable toucher les bijoux vivants dont aucun n′échappe à mon examen visuel.[…]
Ma langue lèche doucement l′avers et le revers de ses nymphes, elle s′infiltre dans tous les replis de ces organes fragiles qui, gonflés et lubrifiés, réagissent au moindre contact et sécrètent la chaude sérosité qu′elle savoure. Elle s′insinue dans la faille de son vagin, elle titille le minuscule étranglement de son trou à pipi... Lorsque ma bouche happe de nouveau son clitoris qui sous son mont de Vénus, darde sa pointe, je sens que la main de Rosine s′attaque à ma braguette. " (1) Elle cherchera le bon rythme et prendra le temps qu’il faut pour qu′en jaillissent les ondes de plaisir et qu′entrent en vibration le ventre et les cuisses. Le plaisir gonfle les seins de la belle et monte jusqu’à sa gorge, la cyprine sourd et la langue gourmette n’en perdra pas une goutte. A moins d′être timorée, la langue se régalera des saveurs musquées de la rosette anale ce qui aura pour effet d’affoler complètement la belle (j’écris " la belle " car toutes les femmes sont belles au sommet du plaisir).
" Ma bouche descend jusqu′aux fesses dont une de mes mains ouvre le moite sillon et se fixe sur son anus de soie vivante. D′abord ma langue en frôle le délicat plissé, puis en picote l′évasement et y darde sa pointe. De contentement, le menu trou du derrière se dilate, ses fronces se distendent sous la succion de mes lèvres qui en aspirent l′acre épanouissement. Pendant ce baiser qui la bouleverse, mon autre main qui n′a cessé de patiner ses nymphes, accélère ses vibrations sur le point sensible d′où elles partent.
Son clitoris s′énerve entre mes doigts qui le branlent. Déjà je recueille dans le pertuis du bas la liqueur qui coule de celui du haut. Ma bien-aimée se prend à hocher de la vulve ; ses reins se soulèvent et me tendent tout son être palpitant. Elle écrase mon visage sur sa jouissance effrénée. Les contractions de son sphincter vont en s′éteignant dans ma bouche tandis qu′elle gémit de bonheur. " (2)
L’orgasme ayant explosé, la langue restera maîtresse de la place et par une pression décroissance, elle accompagnera la redescente. Relayée par un doigt précautionneux, elle pourra déposer quelques baisers qui permettront à la belle d’apprécier son propre goût.
Est-il besoin de beaucoup parler de la plume ? Je me contenterai de citer ce qui a été fort bien écrit : " Le gland est délimité à sa base par une sorte de couronne. Et sous le pénis, juste au-dessous de cette couronne, se trouve une toute petite membrane verticale, nommée le frein. Ce millimètre de peau est l′endroit le plus sensible du corps d′un homme. Pour le mener tout droit à l′extase, faites aller et venir votre langue dessus, aussi légèrement et rapidement qu′un papillon bat des ailes. Puis léchez le pénis jusqu′à sa base et remontez stimuler la petite membrane magique. Recommencez jusqu′à ce que votre partenaire demande grâce ! " (3)
Heureux soient les amants dont les langues sont habiles !Ce petit survol des plaisirs linguaux montre, je pense, leur supériorité sur la banale pénétration phallique. J’ajouterai que la langue ne peut être cause de fécondation indésirable, qu’elle ne s’embarrasse pas de l’infâme latex, et qu’elle n’a pas besoin d’être soutenue par du Viagra. Je propose de lui décerner la médaille d’Or de l’organe érotique.
Texte de Alain Valcour
Notes et références : (1) Georges Hugnet, Rosine (1970) in : Le pantalon de la fauvette, Œuvres libres, Ed. Blanche, 1998. Autres extraits.
(2) Dcteur Gérard Leleu, Traité des caresses, Collection de poche J’ai Lu, et cité dans T. Leguay, Histoire raisonnée de la fellation, Le Cercle, 1999.(3) La femme sensuelle, 1969-1994, cité dans T. Leguay, Histoire raisonnée de la fellation, Le Cercle, 1999(4) Sarane Alexandrian, Doctrinal des jouissances amoureuses, Filipacchi, 1997, Un ouvrage très riche.
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